l'Évêque

Paroles de l'Évêque

0rdination diaconale de Vincent Toeppen

0rdination diaconale de Vincent Toeppen

Frères et sœurs bien-aimés de Dieu !

Les lectures de ce jour peuvent nous surprendre. Le livre de l’Exode vient d’évoquer des rites, un cérémonial datant de 3000 ans, du temps de Moïse avec les mots de « sacrifice » et de « sang » qui paraissent bizarres à nos mentalités contemporaines : Moïse qui prend le sang des taureaux sacrifiés et en asperge l’autel puis le peuple en déclarant : « Voici le sang de l’Alliance » une expression de nous connaissons bien.
La lettre aux Hébreux évoque le Christ, victime offerte qui pénètre dans le sanctuaire du Ciel en répandant son propre sang, Lui qui avait déclaré, la veille de sa mort, en prenant une coupe de vin : « Ceci est mon sang, le sang de l’Alliance, répandu pour la multitude. »
Qu’est-ce que cela signifie ?

Reconnaissons-le, nos mentalités modernes ont du mal avec le vocabulaire de sacrifice, elles répugnent à parler de « sacrifice » de Jésus… Nous préférons souvent :

  • Jésus, maître de sagesse, qui parle en paraboles du « mystère de la vie » ;
  • Jésus qui vit une communauté de table avec les petits et les pécheurs ;
  • Nous aimons quand Jésus se met justement en colère contre l’hypocrisie de ceux qui se croient justes ;
  • ou quand, comme les prophètes de la première alliance, il dénonce ceux qui ont fait du Temple « un repaire de brigands »…

Mais, nous le savons, Jésus n’est pas qu’un prédicateur, il est aussi totalement engagé dans un drame marqué par le combat, la sueur, le rejet, la trahison, l’abandon jusqu’à cette mort, cette mort violente sur la croix …
Dans nos réticences au vocabulaire de sacrifice il y a de bonnes et de mauvaises raisons.

  • Une bonne raison : c’est que le mot sacrifice peut être entendu avec des sens différents. On peut comprendre les rites des sacrifices et de culte comme des rites en soi, des rites magiques cherchant à influer sur Dieu pour avoir quelque chose en retour. Déjà avec Moïse une nouveauté apparaît : ce qui est au centre, le cœur, n’est pas le sacrifice en lui-même mais l’alliance, la loi d’alliance que Dieu propose et la réponse, l’engagement du peuple : « nous le mettrons en pratique, nous y obéirons ».
  • Une autre bonne raison est qu’il toujours difficile d’exprimer ce qui est vital, ce qui nous touche au plus profond, au plus intime et qui comporte des aspects douloureux, de souffrance. Il ne s’agit pas de courir après la souffrance comme si « plus on souffre, mieux c’est ».
    Mais je ne connais pas de gens qui aiment et qui ne souffrent pas. Tout simplement parce qu’ils sont touchés, atteints par ce qui arrive aux autres.
    Regardez des parents quand un enfant est gravement malade, ils n’en dorment pas, ils se démènent pour faire tout ce qu’il faut, ils ont un cœur attentif à ce qui fait mal aux autres.
    Pensez à tous ceux qui se donnent totalement au service de ceux qu’ils aiment. Il nous arrive de dire d’eux qu’ils « suent sang et eau », « sont mort de fatigue », « ont l’impression de ne plus s’appartenir ou d’être mangés ».
  • Une mauvaise raison, c’est quand nous ne voulons pas parler, quand nous voulons occulter : la souffrance, les injustices, le péché, la mort, alors même que ce tout cela est bien présent dans nos vies d’hommes et de femmes.

C’est « pour nous les hommes et pour notre salut[1] » que le Christ est venu. Il s’engage radicalement contre tout ce qui fait mal aux hommes, pour les sortir de l’esclavage du péché et de la mort et nous faire part de sa vie, nous entraîner dans sa vie.
Avec Lui un nouveau pas est franchi dans l’alliance de Dieu avec les hommes. En Lui Dieu fait tout le chemin pour se faire proche jusqu’à se faire l’un d’entre nous.
Plus besoin de sacrifices sanglants d’animaux pour accueillir ce que Dieu nous donne et pour vivre l’alliance du Dieu de la vie, pour aimer comme Lui nous a aimé.
Le Christ ne nous donne pas des choses mais il s’engage lui-même, il se donne en personne. Il se donne en nourriture, corps livré : prenez, mangez ! sang versé : prenez, buvez !
Sous les signes du pain et du vin consacrés, ce qui offert à nos regards, ce qui nous est effectivement donné c’est son corps livré, son sang versé, sa vie donnée par amour.  
Jésus n’offre pas un mouton ou de l’argent, il offre sa personne, sa vie. Il le fait en vivant ce qu’il n’a cessé de dire, en refusant les tentations, en proclamant les béatitudes. Le choix de préférer Dieu et les autres au trop grand souci de soi-même, entraîne nécessairement une mort à soi-même.  « Il n’a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime[2] ».
Jésus le vit, au cœur du refus, de la violence, de l’injustice qui s’acharnent sur l’innocent. Il le fait au soir de la cène en retournant la situation, en faisant de sa mise à mort violente un geste d’amour : « ma vie, nul ne la prend », pourtant on va la lui prendre, « c’est moi qui la donne[3] ».
Au moment où on lui prend sa vie, Jésus ne cesse d’aimer et pardonner. C’est pour cela que dans sa mort, parce que l’amour est à l’œuvre, nous pouvons accueillir un don de vie, un don d’amour, un salut. C’est ce qu’il nous livre au soir de la cène, comme en chaque eucharistie.
C’est ce que signifie son sacrifice qui devient aussi le nôtre : le don de soi, le don de sa vie, corps livré et sang versé.

  • Quelle différence, en effet, entre « donner quelque chose », même de très cher à nos yeux, et « donner sa propre vie » de manière définitive !
  • Quelle différence entre celui qui dit : « Je te donne une heure de mon temps précieux ou un beau cadeau » et cet autre qui dit « je te reçois comme épouse, époux et je me donne à toi » pour toujours, comme Vincent et Nadège le vivent dans le sacrement de mariage.

Nous percevons bien qu’une vie humaine qui se replie sur elle-même, se préfère aux autres, s’enferme, dresse des murs plutôt que des ponts, passe à côté de la vie véritable marquée par la qualité et la vérité de nos relations. Nous percevons que le refus d’un don de soi est mortifère.  

En chaque messe, en mémoire de lui, reprenant les gestes et les paroles de Jésus à son dernier repas, nous devenons contemporains de ce que Jésus a fait une fois pour toute. Son offrande est notre présent, est actuelle et il se donne à nous, réellement présent.

Nous venons nourrir nous vie à cette source de vie, nous venons nous laisser entraîner par le Christ à vivre nos vies comme des vies données, livrées par amour. Ceux qui préfèrent Dieu et les autres à eux-mêmes, engendrent des relations, de l’alliance, de la communion.

Vincent, en t’ordonnant diacre, je prie pour que par le ministère que tu reçois par l’imposition de mes mains et le don du Saint-Esprit, tu continues à mettre en pratique la Parole du Seigneur qui retentit dans l’Évangile que je vais te remettre, attentif à croire à la Parole que tu lis, à enseigner ce que tu as cru, à vivre ce que tu auras enseigné.

En t’ordonnant diacre, je prie pour qu’en te nourrissant à la Parole engagée de Dieu, en te nourrissant de son corps livré, de sa vie donnée, le Seigneur fasse de toi un serviteur de son Corps, serviteur attentif à tous les membres de son Corps en particulier les plus fragiles, laissés-pour-compte ou nouveaux-venus.

Diacre, tu portes un des titres du Seigneur : « Serviteur ». Serviteur tu le seras en étant à la place où se tient le Seigneur au soir de la cène. « Quand Notre Seigneur est à genoux au lavement des pieds. Il résume tout ce qu’il est, tout ce qu’il donne, tout ce qu’il apporte et la mission qu’il nous confie, qui est d’être à cette place où il se tient, où il se tient à genoux devant l’homme[4] ».
D’une manière particulière tu auras à veiller et à aider l’Église à ne pas se payer de mots et à assurer une présence active de la charité près de ceux qui en ont besoin et en prenant la tenue de service.

Je prie aussi pour que ton service entraîne et invite nos communautés comme chacun de tes frères et sœurs, à répondre toujours plus avant : « nous le mettrons en pratique, nous y obéirons » et nous connaissons le commandement nouveau « comme moi je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres[5] ».  C’est bien ce que nous demandons dans la grande prière de l’Église, notre prière à la messe « que l’Esprit saint fasse de nous une éternelle offrande à ta gloire[6] », c’est-à-dire des vies données, des vies qui aiment comme le Christ.
Que l’Esprit-Saint, avec nous, fasse grandir le Corps vivant du Christ que nous formons par la qualité et la vérité des relations de nos vies données, de notre amour de Dieu et des hommes qu’Il aime.     

Amen

+ Michel Pansard
Evêque d’Evry-Corbeil-Essonnes
Samedi 1er juin 2024


[1] Symbole des apôtres
[2] Jn 15, 13
[3] Jn 10, 18
[4]  Maurice Zundel, Ta parole comme une source, p.185
[5] Jn 13,34
[6] Prière Eucharistique n°3

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